Nous sommes à Chavençon en 1889 ; la découverte 4 ans auparavant par Pasteur du vaccin contre la rage est passée au second plan, plus personne ne se formalise de la démission du Président Grévy après le scandale des décorations et on a déjà oublié l’élection de Sadi Carnot pour remplacer à la Présidence de la lllème République.
Les Chavençonnais se moquent de l'emprunt russe qui vient d'être mis sur le marché, sauf peut-être Monsieur le Maire de l’'époque, qui en achète au nom de la commune qui les possède toujours. Pourquoi une telle indifférence?
Parce que Chavençon vit depuis près de 2 ans un véritable cauchemar ; sa population est décimée par une terrible maladie appelé "croup". Alors durant les années 1883 à 1886 on enregistre au maximum 1 décès par an,
dès 1887 Chavençon, alors riche d'environ 140 habitants, perd deux de ses enfants, âgés de 28 ans et de 5 mois, puis c'est l'hécatombe avec 7 décès en 1888 et 8 décès en 1889 uniquement à Chavençon, car les nombreux cas déciment également les villages alentour depuis le Heaulme jusqu'à Faye les Etangs. Ce petit village comptait à l'époque plusieurs fermes et était essentiellement peuplé d'ouvriers agricoles qui se livraient aux pénibles travaux des champs. Certains villageois effrayés par le nombre de victimes émigrèrent avec leurs familles et il ne restait qu'un peu plus de cent habitants en 18go à Chavençon.
Mais, heureusement, la plupart réagirent différemment et, implorant la Vierge Marie, se mirent sous sa protection pour enrayer la maladie qui décimait un grand nombre d'habitants de tous âges.
C'est ainsi que la croyance populaire nous a transmis l'existence d'un véritable miracle dû à la Vierge puisque l'épidémie cessa immédiatement. Marie-Louise TUYITENS se souvient d'abord,
de ce que lui a conté sa grand-mère, Eugénie LECOFFE devenue Eugénie MAUGER par son mariage, dont le frère Eugène LECOFFE avait perdu la vie terrestre à l'âge de 15 ans, terrassé par cette affreuse maladie."
C'est consécutivement à cette épidémie, qu'à l'initiative de nombreuses familles, dont la famille LECOFFE, pour remercier Marie, les villageois firent un vœu. à Notre Dame, qui s'est traduit depuis 1890 chaque année,[e dernier dimanche de février, par une journée à la dévotion de laVierge.
Cette cérémonie fut perpétuée auprès des villageois à l'invitation fervente d'abord de Madame MAUGER, puis den Madame CODHAN, sa fille, ma tante qui, pour rien au monde, n'aurait manqué cette journée en l'honneur de la Sainte Vierge".
Marie-Louise TUYITENS se souvient toujours :
Quand j’étais enfant, ce denier dimanche de février, le matin, nous allions à la messe dans notre petite église ou beaucoup de monde se pressait, priait avec ferveur et chantait des cantiques dédiés à laVierge. A [a sortie de la messe, les prêtres (ils étaient plusieurs) nous distribuaient le pain béni sous forme de brioches. L'après midi, après les vêpres ou nous chantions des psaumes, c'était la procession.
Cette journée était respectée par tous les habitants du village et, derrière la bannière, les prêtres et les enfants de cœur, nous formions un cortège et, en chantant des cantiques, avec une profonde ferveur pour remercier la Vierge d'avoir stoppé l'épidémie, nous nous rendions de l'église à la croix de fer, en bas du village, Chemin du Heaulme, près de la mare. Puis, après une dernière prière, la procession se dispersait et chacun retournait vaquer à ses occupations, les hommes aux champs et les femmes souvent à l'étable pour la traite car, à cette époque, il y avait sans doute plus de cent vaches sur la commune". Marie-Louise TUYTTENS se souvient encore :
"Cette procession jusqu'à la croix de fer a existé jusqu'en 1935-1936 et, à partir de cette date, seules les messes et les vêpres ont été célébrées jusqu'en 1950; cette cérémonie avait lieu quelque soit le temps, je me souviens de jours ou le froid nous gelait les membres, notamment lors de l'hiver1956 ; puis, à compter de cette date et à peu près, jusqu'en 1970, à la date anniversaire de ce vœu, c'est à dire le dernier dimanche de février, une messe sera dite et maintenant, compte tenu du manque de prêtre, la messe a lieu à une date voisine du 28 février mais pour combien de temps encore ?
Il serait vraiment regrettable que ce vœu soit oublié !"...
Propos de Marie-Louise TUYTTENS recueillis par Michel TANKÉRÉ en décembre 1999. Extrait du BlC n°13 de janvier 2ooo.